Plan B

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Un livre ? Nadja, André Breton. Un texte ? Première soirée, Arthur Rimbaud. Un film ? Trainspotting, Danny Boyle. Une chanson ? I am the walrus, The Beatles.

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Je me revois entrer dans la douche, tranquillement, en sifflotant. Je me souviens aussi de cette irrésistible envie de fumer. Celle qui vous tombe dessus n'importe où, n'importe quand. Et faut être réactif.
Je me revois, alors, ne pas trop résister, passer une serviette autour de la taille, attraper au vol un gilet de survêtement rose et vert venant tout droit des années 80, le tout accompagné de sandales en plastique. La clope déjà au bec, briquet à la main, prêt à dégainer. Avec un peu de mousse encore dans les cheveux. La dépendance ne sait pas attendre. C'est bien dommage... on pourrait s'éviter certaines situations.
Comme celle dans laquelle je me trouve actuellement : enfermé sur mon balcon, au troisième étage, habillé en pervers sexuel des pays de l'Est. DSK version cheap. Ambiance bois de Boulogne sur quatre mètres carrés de béton. La porte vitrée a claqué, pas de poignée extérieure, il fait nuit, il pleut en biais et c'est l'hiver. Cette douche-là est froide. Ce serait quand même débile de finir frigorifié chez soi, à quelques mètres du canapé, de la télé et du chauffage. Sans portable, seul au monde.
Si je m'en sors, j'arrête la clope, c'est juré. Si je m'en sors, je dis à Lisa que je l'aime, que je veux vivre avec elle. Si j'arrive à m'en sortir, je m'inscris à la muscu, j'arrête de fourguer massivement les publicités dans la boîte aux lettres d'à côté, je fais un don à une association caritative, je change de boulot, je promets de voter à chaque élection, j'arrête de foutre des coups de latte à ce putain de chat dans la cage d'escalier, je deviens aimable avec la boulangère aigrie, je lève le pied sur les films Dorcel et je m'engage à changer de caleçon tous les jours.
Pour l'instant, je n'ai qu'une serviette, mon gilet de survêt' et le moral dans les tatanes. En tant qu'adulte responsable, j'ai d'abord commencé par paniquer et appeler à l'aide. Rien. Juste une dame sur le trottoir qui a accéléré le pas.
Mon pote qui travaille à la Poste me dirait de sauter pour profiter d'un arrêt de travail mérité. Mon pote qui a monté sa propre boîte me dirait de prendre des risques. Mon pote au chômage me dirait d'attendre de l'aide. Je décide de faire le point. Je dois me concentrer et mobiliser toutes les ressources disponibles.
Je dispose d'une tasse à café vide, d'un cendrier plein, d'un briquet et d'une table de camping. J'essaye de faire appel à mes souvenirs koh-lantesques. Toujours rien. Mc Gyver avait toujours un stylo. Moi, j'en ai pas. Série à la con. Allez, je dois faire preuve d'imagination, prendre un peu de recul (mais pas trop) et improviser. Une idée surgit : casser la tasse par terre et lancer un par un les petits bouts de porcelaine sur la vitre de la voisine sexy du dessus. Toutefois, si elle est là et qu'elle me voit, je vais devoir accepter le fait que tous mes efforts de séduction seront brutalement anéantis. Tant pis, l'heure est grave.
Et c'est à peu près au moment où je vois la tasse rebondir sur le sol, rouler, pratiquement s'arrêter puis tomber inexorablement dans le vide sous la rambarde, que je décide d'élaborer un plan de secours. J'aurais pu avaler l'intégralité des mégots du cendrier pour mettre un point final à cette histoire. Une fin tragique à la Marilyn Monroe...ou plutôt à la Marie-Line de chez Michou, sans cachets et au bord du gouffre.
Heureusement pour moi, il me vient une autre idée : pourquoi ne pas arracher les pieds métalliques de la table de camping afin de m'en servir pour taper sur le volet du voisin du dessous ? C'est brillant ! J'exécute mon nouveau plan avec enthousiasme. Je me penche (mais pas trop) et commence à frapper. Après plusieurs tentatives, mon voisin se décide enfin à sortir la tête par la fenêtre.
En me voyant, son visage se ferme et il me demande de reculer un peu pour ne pas voir sous ma serviette. Après m'avoir demandé pourquoi je le dérangeais en pleine nuit, pourquoi j'avais abîmé son volet (me rappelant par ailleurs que le racolage était interdit dans l'immeuble), il ajoute : « C'est pas vous qui mettez des coups de pied à mon chat ? »

Merde... J'espère qu'il ne sait pas pour sa boîte aux lettres. 
Il va falloir que je trouve un plan C.

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