Le jour de fuite

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Il faisait nuit, les rares lampadaires continuaient à jeter leur lumière diffuse sur les trottoirs. Dans le village et la campagne environnante, tout était calme et immobile, à l'exception des quelques phares de voitures qui dessinaient les routes en sillonnant entre les champs.
Aux abords du village, une vieille ferme était plongée dans l'obscurité, comme dormant paisiblement au clair de lune. Soudain, tel un œil brusquement ouvert après un mauvais rêve, une fenêtre à l'étage s'éclaira. Dans la pièce, une silhouette se mouvait doucement.
Juliette s'habillait sans un bruit. Elle avait préparé toutes les affaires la veille, rassemblant dans un grand sac à dos quelques habits, de quoi manger et boire, une couverture, et tout l'argent qu'elle avait pu trouver. Une fois prête, elle jeta un coup d'œil à travers la fenêtre. Le ciel commençait à s'éclaircir vers l'est, il ne lui restait plus beaucoup de temps. Elle éteignit sa lampe de chevet et ouvrit doucement la porte. La lune suffisait maintenant à éclairer ses pas. Quelques jours plus tôt, elle avait pris soin de repérer la trajectoire précise à suivre pour ne pas faire grincer le parquet. Elle se dirigea alors de manière méthodique vers la chambre voisine dans laquelle elle pénétra à pas de loup. Dans celle-ci, une forte respiration troublait le silence qu'elle-même n'osait briser. A tâtons, elle s'avança jusqu'au lit d'où provenait le léger ronflement, puis posa sa main sur la tête bouclée qui couvrait l'oreiller. Elle approcha alors sa bouche de l'oreille de la dormeuse et chuchota : « Mamie, réveille-toi. » La respiration étant toujours aussi régulière, elle secoua doucement de son autre main l'épaule de sa grand-mère. Quelques secondes passèrent vainement puis un léger marmonnement succéda à la forte respiration. Enfin, deux yeux s'ouvrirent péniblement. Juliette murmura à nouveau : « Allez Mamie, debout ! On doit s'en aller avant qu'ils ne viennent te trouver, tu te souviens ? C'est le jour de fuite, Mamie, on doit partir. » Elle aida la vieille dame à s'asseoir sur son lit et lui apporta ses vêtements. « Je te laisse dix minutes pour te préparer et je reviendrai te chercher », souffla-t-elle encore. Puis Juliette disparut sur le palier.
Une fois habillée, Martine ouvrit la porte et appela sa petite-fille. Aussitôt, Juliette surgit et la prit par le bras. « Fais bien attention où tu marches », lui glissa-t-elle. Elles descendirent difficilement l'escalier en bois, faisant craquer à deux reprises une planche. Heureusement, la vieille maison était rarement silencieuse et les dormeurs n'y prêtèrent pas attention.
Dans la cuisine, deux vestes et un foulard s'entassaient sur la table, côtoyant des tartines fraîchement préparées et des tasses fumantes attendant d'être bues. Juliette regarda l'horloge qui trônait au-dessus de la porte. « Mangeons vite, dans moins d'une heure tout le monde ou presque sera réveillé, et alors je ne donnerais pas cher de notre peau... » Elles s'attablèrent et mangèrent en silence. Le petit-déjeuner englouti, Juliette débarrassa et nettoya méticuleusement toute trace de leur court repas. « J'ai réussi à récupérer les clés de Papa pendant qu'il se douchait, tu seras bientôt libre ! » s'exclama Juliette en ouvrant la porte d'entrée. Sans un bruit, elles filèrent dans la nuit, excitées par cette évasion matinale. Juliette aida sa grand-mère à monter dans une petite remorque tapissée de vieilles couvertures, lui donna son sac et enfourcha la vieille bicyclette. Le démarrage fut laborieux et les roues crissèrent sur les graviers de la cour. Mais l'étrange convoi atteignit rapidement l'asphalte de la route et alors le calme revint.
Juliette pédalait aussi vite qu'elle le pouvait, bravant le vent frais qui semblait s'être levé en même temps qu'elles. Le jour commençait à pointer le bout de son nez, réveillant leur angoisse d'être prises. Alors Juliette redoubla d'effort et une vingtaine de minutes plus tard, elles arrivèrent au point de rendez-vous. Une jeune femme les attendait, adossée à une voiture.
— Que voulez-vous ?
Un instant désarçonnée, Juliette aida sa grand-mère à descendre de la remorque et, essoufflée de sa course, répondit en haletant :
— Plus on est debout, plus on rit.
— J'ai toujours aimé Balzac, répondit la jeune femme en souriant.
Elle ouvrit alors la porte de la voiture et s'assit au volant. Juliette regarda sa montre. Si tout se passait bien, elle avait encore le temps de rentrer à la maison avant le réveil de ses parents. Elle releva la tête et se dirigea vers sa grand-mère.
— Il est l'heure, Mamie. Normalement, tout a été réglé. Cette dame va te conduire au port puis tu prendras le Némésis. A ton arrivée à Calvi, Bruno viendra te chercher et tu poursuivras ton voyage comme prévu. S'il arrive quoi que ce soit, j'ai laissé un portable avec mon numéro et de l'argent. Ne t'en fais pas, ils ne te retrouveront pas.
— Et toi, ma Juliette ?
— Tout va bien se passer. Personne n'est au courant de rien, j'ai brouillé les pistes, nous aurons bientôt fait le plus dur. Pour ma part, il ne me reste plus qu'à retarder la découverte de ta disparition et toi, tu n'as plus qu'à t'enfuir loin d'ici ! Ils ne t'enverront pas dans cette maison de retraite qui tient tant à garder ses occupants assis, tu as ma parole. Reste debout et profite encore longtemps de ta vie, Mamie !
— Merci pour tout ma Juliette, j'enverrai des lettres à la boulangère tous les quinze du mois, tu as également ma parole.
Juliette jeta un nouveau coup d'œil à sa montre, enlaça brièvement sa grand-mère et enfourcha sa bicyclette. Un signe de la main, des coups de pédale et elle s'élança à toute vitesse pour retrouver le calme éphémère de sa maison.

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