Artiste dans l'âme

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Si vous vous attendiez à lire un trait d'esprit ici, c'est raté. Je ne suis pas très douée en traits d'esprit.

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La mer, la mer et ses douces vagues périssant et naissant dans un éternel recommencement. La mer bleue et salée, amie amère et précieuse ; et le sable, le sable d'or, ses grains constellant la plage de mille éclats lumineux. Et là, sur cette plage baignée d'un soleil radieux, Frieda. Frieda et sa mobylette, son étalon d'acier rutilant, galopant en soulevant des nuages de sable à chaque avancée. Les cheveux blonds au vent, les yeux verts plongeant vers l'horizon, Frieda ressentait un immense plaisir à parcourir l'endroit, artiste dans l'âme, discernant dans cette peinture nuancée de chatoyantes couleurs le soin et l'amour que la Nature porte à ses œuvres. Frieda, c'est quelqu'un qui adore observer, regarder, voyager. Artiste dans l'âme, Frieda se sentait bien. Pas de vie dans cette mer, juste des remous aquatiques apaisants, peut-être quelques goélands au loin, et à droite, l'orée d'une forêt.

En moins d'une demi-seconde, Frieda se retrouvait dans la forêt, ayant viré sans hésiter vers cette nouvelle destination : la jeune femme éprouvait quelques petites difficultés à se frayer un passage sur le sentier sinueux créé par les arbres. Sa bête rugissant avec ardeur, elle fonça dans les bois, détaillant chaque feuille, chaque fissure de chaque tronc, rides et témoignages des années passées. La lumière était présente partout, sur le sol, en tâches délicates et précieuses, le reste des rayons bloqué par un dense mur de végétation luxuriante. Bonté divine, quel sentiment exquis, celui de voyager et de rêver. Artiste dans l'âme, Frieda pouvait rester ici des heures. Puis alors, à l'opposé de sa direction, Frieda aperçut un canyon, comme dans les grands films américains. La mobylette obtempéra, hurlant de plus belle alors qu'elle se dirigeait vers des contrées inexplorées et attirantes.

Et là, explosion de couleurs chaudes et délicates ; le soleil se couchait à l'horizon, couvrant le paysage de son aura orangée, s'alliant parfaitement avec les teintes exotiques du canyon en lui-même. Canyon abrupt et brut, falaises escarpées, un endroit sauvage, presque agressif de par ses courbes géométriques et asymétriques. Une poussière rocheuse au sol, qui se soulevait en nuages opaques à chaque pas. Frieda pensait entendre les dingos hurler, hurler à la mort. Elle sourit, sans un mot. C'était son imagination. Frieda a une imagination débordante. Elle admirait cependant les teintes chaudes de ce lieu, admirait son voyage pourtant peu onéreux. La mobylette ronronnait tel un puma, avançant sans s'arrêter dans le tableau magnifique ; les doigts accrochés sur le guidon si fort qu'ils en blanchissaient, Frieda pencha la tête en avant, puis la releva, observant une dernière fois ce ciel orangé de ses yeux profonds et créatifs. Artiste dans l'âme, Frieda voyageait. Oui, elle voyageait vers une mer bretonne cette fois-ci. Frieda aime tant, tant et tellement la mer.

L'océan breton. L'horizon indiscernable derrière une brume certaine, pourtant très peu ennuyeuse. L'eau un peu grise mais scintillante d'une bonté tout autre, tout comme les Bretons eux-mêmes. Quelques personnes s'agitent au bord de l'océan ; ce sont des pêcheurs. La pluie se met à tomber et la mer se déchaîne ; Frieda observe ce spectacle avec délectation, heureuse. Elle s'approche des pêcheurs, qui ne semblent pas la voir, accaparés par leur pêche miraculeuse. Leur bateau a accosté près du rivage et ils descendent les filets dans un brouhaha excité. La mobylette, machine de métal rutilant, semble plus docile, plus encline à assister à ce spectacle, alors qu'on pourrait presque ouïr des chants bretons à travers le clapotis de la pluie se mêlant à la mer.

Et soudain, au loin apparaissent de grands navires, qui bravent la tempête avec un courage indéfectible. Leur fin approche inexorablement, et Frieda le sait bien. Elle fait voler le sable sous sa mobylette, ne pouvant qu'observer ce terrible spectacle : le vrombissement de sa machine se mêle au bruit tonitruant de la foudre qui éclate ; les vagues se lèvent, armée hostile et impalpable, insaisissable. Les pêcheurs sont loin sur la gauche, loin, très loin, et Frieda n'a d'yeux que pour ce tableau effrayant. Artiste dans l'âme, elle se demande si ce n'est pas un peu l'état de son esprit, esprit bordélique, dérangé et trituré. L'instant est figé, les bateaux attendent leur fin sans mot dire. Frieda détourne le regard, repart à mobylette, au galop. Elle cherche un endroit plus joyeux, moins sombre, qui lui mettrait moins de pression, un peu. Mais, c'est peine perdue ; tout ce qu'elle aperçoit ce sont des instants figés de crimes et de mort. Les landes chatoyantes et merveilleuses sont derrière elle, et elle ne fera pas demi-tour.

Le paysage se métamorphose sans cesse, forêt noire, trio de vieilles au crépuscule de leur vie, paysage de désolation et d'apocalypse, et la mobylette continue à rouler, dénuée de sentiments pour l'éternité, simple machine et moyen de locomotion. Son ronronnement, son toucher rassure un peu Frieda, qui n'aime pas ces ambiances tristes, qui lui rappellent que pas à pas, seconde par seconde, la fin approche. Artiste dans l'âme, Frieda croit à l'immortalité de tout son cœur. Elle croit à l'esprit qui perdure après la perte du corps. Mais Frieda ne tient plus.

Alors Frieda arrête le voyage, sort de sa rêverie, arrêtant de malmener le petit porte-clés caoutchouteux en forme de cyclomoteur. Elle fait demi-tour, laissant tous ces lieux derrière elle, abandonnant son aventure éphémère.

Artiste à l'âme bien trop sensible, Frieda sort du musée.

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